Des « Portraits rêvés pour voir la longueur des titres

Des « Portraits rêvés pour voir la longueur des titres

Portraits rêvés est une application conçue par Un Autre Monde explorant l’univers de plusieurs auteurs néo-aquitains du livre à travers des biographies inventées à partir de l’un de leurs ouvrages. Une initiative de création littéraire et numérique, soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine et la Drac Nouvelle-Aquitaine, présentée le 27 septembre dernier lors de la 3e Fête au Chalet Mauriac.

S’il « ne faut pas confondre Robinson et Defoe, Marcel et Proust », comme l’écrit Michel Butor dans Essai sur le roman, « ceux-là même sont toutefois une fiction. […] Ils sont tout autant le représentant de l’auteur, sa persona ». Il est vrai que la question : « Qui sont les écrivains, assis à leur table, en train d’écrire ? » hante la littérature depuis toujours. Dans Les Mandarins, Simone de Beauvoir ajoute, elle, « on dit volontiers que les écrivains ne sont pas des personnages romanesques : pourtant les aventures de la pensée sont aussi réelles que les autres et elles mettent en jeu l’individu tout entier : pourquoi ne tenterait-on pas de les raconter ? » C’est, d’une certaine manière, ce que deux écrivains, membres fondateurs de l’association Un Autre Monde, Lucie Braud et Romuald Giulivo, tentent d’approcher dans Portraits rêvés, un projet littéraire conçu sur une application pour mobiles et tablettes, présenté en avant-première lors de la 3e édition de la Fête au Chalet Mauriac, aux scolaires, aux enseignants et à des acteurs culturels régionaux.

Au Cercle ouvrier de Saint-Symphorien où nous est présenté Portraits rêvés, sur un grand écran, Romuald Giulivo commence : « L’idée est venue d’une expérience d’auteur. J’écris souvent sur des personnages qui se demandent s’ils existent vraiment, s’ils sont vraiment en vie. Pour moi, un auteur ça n’existe pas. Quand j’écris et qu’après je me relis, je me demande où j’étais, moi, quand l’auteur que je suis était en train d’écrire ? Je n’ai pas l’impression d’être l’écrivain qui écrit mes livres ; je ne sais pas qui est le mec qui écrit mes livres. Il n’est pas loin, je le fréquente de temps en temps mais il m’est assez inconnu finalement. S’ajoute à cela le fait que nos expériences de lecteur nous amènent parfois à nous demander quelle est la part autobiographique et la part de fiction dans ce qu’un auteur a écrit. Certains en jouent d’ailleurs et notamment Brett Easton Ellis dans Lunar Park par exemple, qui fictionnalise sa vie et sa personne. J’ai eu envie de prendre ces deux idées à rebours, d’en inverser le processus, en partant du postulat que les auteurs n’existent pas, qu’ils sont des fictions. Ça m’a donné envie d’inventer des portraits d’auteurs. Lucie Braud était partante et on a décidé d’en faire un travail de lecture à voix haute, associé à des photographies. »

« Notre public c’est le lecteur et, de préférence, le jeune lecteur, aussi on souhaitait que ce projet soit une autre façon de nourrir une appétence à la lecture. »

Prenant la suite, Lucie Braud nous explique comment le projet a véritablement démarré en 2017 : « Comme on est tous les deux très attachés à la notion de territoire, puisqu’on est des auteurs de la géographie, des lieux, on a pris le parti de choisir des auteurs de Nouvelle-Aquitaine, de lire un seul de leurs livres et d’imaginer leur vie à partir de ça. On a sélectionné 12 auteurs* en équilibrant nos choix pour que ce soit des auteurs issus des trois anciens territoires, autant urbains que ruraux, avec un rapport paritaire entre hommes et femmes et, pour qu’il y ait une pluridisciplinarité représentative, on a choisi des champs littéraires différents, du roman jeunesse au roman adulte, de la bande dessinée à l’illustration, de la philosophie à la poésie. Ce mélange des styles et des genres c’est aussi pour que chaque lecteur puisse trouver une porte d’entrée. Notre public c’est le lecteur et, de préférence, le jeune lecteur, aussi on souhaitait que ce projet soit une autre façon de nourrir une appétence à la lecture. On s’est ensuite réparti les textes équitablement et on a écrit des microfictions qu’on a vite fixées à 3000 signes, pour que la lecture à voix haute soit de 3 minutes maximum, soit à peu près le temps d’une chanson. »

Sur l’écran, en face de nous, vient d’être lancé une première lecture à voix haute, une fiction écrite autour L’enfant qui de Jeanne Benameur (Actes sud, 2017). La voix enveloppante de Romuald démarre : « Tu es Jeanne Benameur. Oui toi. Tu le sais très bien, ne fais pas l’innocent. Tu es Jeanne Benameur car toi aussi ta mère a disparu ou disparaîtra un jour. Tu le sais bien. C’est inévitable. Désolée de cette mauvaise nouvelle mais c’est ainsi. Jeanne Benameur, toi, moi, nous et tous les autres, on finit forcément orphelin un jour. […] Tu es Jeanne Benameur et même s’il n’y a plus désormais de vraie couleur, de souffle ou de raison, tu es vivant et parfois tu y crois et tu te laisses traverser par une poussée de joie. Tu ne sais pas d’où elle vient mais tu te laisses porter. Tu avances, tu serres les dents, tu t’offres des sourires et des encouragements, tu dévores tout, repas, projets, expériences… […] Tu dévores, tu te gaves et puis tu oublies. Tu oublies que tu es seul et à jamais de travers… ».

Lucie reprend : « Nous sommes tous les deux auteurs et nous avons fondé ensemble en 2013 l’association Un Autre Monde, un collectif d’auteurs et d’artistes. Les processus de création sont souvent assez solitaires, aussi on avait envie de travailler ensemble, à plusieurs. La ligne éditoriale est simple : les projets portés par les artistes sont toujours issus d’une œuvre littéraire qui va générer un travail pluridisciplinaire. On part du livre (quel que soit son champ littéraire) pour créer des spectacles ou des lectures qui vont croiser d’autres champs artistiques comme le dessin, la musique, la vidéo… La mise en voix étant ce vers quoi on tend le plus. Et cette façon d’appréhender nos créations nous a enrichis et continue de nous apprendre d’autres façons de voir, de lire et d’interpréter ».

« Un outil pédagogique pour les bibliothécaires, les documentalistes et les enseignants. »

Et Romuald ajoute : « Ça casse nos automatismes et mécanismes de fabrication et renouvelle nos pratiques, ce qui rend la vie beaucoup plus intéressante. Depuis le début, on veut défendre la lecture et le livre à travers la lecture à voix haute parce que c’est une autre façon de trouver un chemin vers le livre pour, surtout, réinventer du plaisir. Lire à voix haute, c’est vivre la lecture, les mots, c’est se rapprocher du ressenti. C’est aussi dans cette optique qu’on a voulu associer, à ces portraits imaginaires d’écrivains réels, des photos d’eux, toutes aussi imaginaires. On a confié la commande à Olga David, une jeune photographe qui a créé trois portraits photographiques issus de son interprétation puisqu’elle n’a eu accès qu’aux microfictions qu’on a écrites sur les 12 auteurs ».

Pour l’application, qu’ils ont fait développer par les Ateliers In8, ils ont souhaité qu’elle soit très épurée afin qu’aucune animation ne perturbe l’attention portée aux textes, à la voix et aux photographies. Lucie et Romuald ont l’habitude de travailler en atelier d’écriture avec des scolaires, aussi leur souhait serait que cette application – qui a été financée par la Drac, la Région Nouvelle-Aquitaine et soutenue par ALCA -, puisse être un outil pédagogique pour les bibliothécaires, les documentalistes et les enseignants puisque ce travail d’écriture numérique pour mobiles et tablettes a été conçu pour les scolaires, les lycéens notamment. L’application, installée sur tablettes peut, par exemple, permettre de présenter une sélection d’auteurs régionaux à découvrir autrement ou d’imaginer des actions d’éducation artistique avec un processus de création similaire, à savoir : inventer des portraits d’écrivains, réels ou… imaginaires. Pour minimiser les coûts, le principe peut être reproduit sur une simple page web. L’idée, bien entendu, c’est de soutenir un accès à l’écrit, à la lecture et de travailler également l’image, par le biais de photos ou de vidéos. Un programme complet en somme et qui va se poursuivre puisqu’une deuxième saison de Portraits rêvés est en gestation.

*Gilles Abier, La Piscine était vide, Actes Sud, 2014. Sandrine Beau, Traquées, Alice éditions, 2017. Jeanne Benameur, L’Enfant qui, Actes Sud, 2017. Mehdi Belhaj Kacem, Vita Nova, Dante (traduction), Gallimard, 2007. Lucie Braud, L’Everest, à paraître. Claude Chambard, « Le Jour où je suis mort », in Des Trains à travers la plaine, Atelier In8, 2011. Frédérique Clémençon, L’Hiver dans la bouche, Flammarion, 2016. Yann Fastier, Savoir-Vivre, Atelier du Poisson soluble, 2000. Romuald Giulivo, L’Île d’elle(s), à paraître. Marin Ledun, Salut à toi, ô mon frère, Gallimard, 2018. Julie M., Naturellement, 5 tomes, Belloloco, 2014-2018. Elie Treese, Les Anges à part, Rivages, 2014.

luci braud giulivio romuald

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Elie Treese

Elie Treese

Élie TREESE

Voix d'auteurs

Derrière la blancheur des façades de la belle ville de Saintes, à l’abri de la luminosité du dehors, Élie Treese cherche inlassablement à son bureau. Il mâche, mûrit, pèse chacun de ses mots. Les mots d’un écrivain discret et d’un enseignant de français exigeant. Deux pratiques qui rythment ses journées, s’interpénètrent, se nourrissent l’une de l’autre, tout en lui laissant encore le temps d’évoquer avec nous la grande affaire de sa vie : la lecture et l’écriture.

Propos recueillis par   Romuald Giulivo

Vous souvenez-vous comment vous avez rencontré la lecture ?

Élie Treese : La rencontre a été plutôt tardive. J’ai grandi à la campagne, dans un petit hameau de Dordogne où ma vie d’enfant était faite avant tout de cabanes dans les arbres, de balades en forêt ou de parties de pêche. C’est au lycée que j’ai réellement commencé à lire, même si auparavant ma mère ou mon beau-père m’avaient mis quelques livres dans les mains. Je me rappelle très bien un enseignant, un peu excentrique mais passionnant, qui nous a fait étudier Les Mémoires d’outre-tombe. La plume de Chateaubriand, et plus tard celle de Proust m’ont immédiatement fasciné. Je crois notamment grâce au commentaire conjoint de ces textes. Les analyser dans le détail, examiner leur structure, en relever la facture m’a fait accéder à leur beauté. Je me souviens par exemple chez Proust de cet extrait où il parle du porche de l’église de Combray, des angles arrondis au fil des siècles par les manteaux des paysannes venant à l’office. Ce passage, cette image, reste encore très clair en moi des années après.

Cela signifie-t-il que vous êtes entré en lecture avant tout par goût de la forme ?

Élie Treese : Je ne parlerais pas de forme, mais plutôt d’écriture. La distinction entre forme et fond me semble à la fois restrictive et obsolète. Ce qui m’intéresse avant tout — et fait jonction entre les deux — c’est l’écriture. L’écriture est une totalité. C’est à la fois un imaginaire, un monde, et de manière indissociable un style qui porte ce monde. L’écriture a fondé mon goût pour la littérature. J’ai tout de suite compris qu’elle renfermait quelque chose d’inépuisable. Tous les textes qui m’ont parlé à l’adolescence et me parlent encore aujourd’hui — parfois de façon bien différente —, je sais qu’ils continueront à me parler dans des années.

L’envie de lire et celle d’écrire sont-elles nées du coup dans le même temps ?

Élie Treese : Je pense effectivement. Ce mystère de l’écriture, ce que l’on peut trouver dans un grand texte, un texte qui a une ampleur, une profondeur significative, j’ai assez vite essayé de le reproduire — même si c’était alors avec la maladresse et la naïveté d’un enfant de seize ans. Trente ans plus tard, j’ai l’impression d’avoir un peu avancé dans cette recherche, même si en vérité le mystère demeure entier.

Étant de culture américaine par votre père, comment naviguez-vous entre littérature française et production d’outre-Atlantique ?

Élie Treese :Je me nourris des deux. Ce sont, je pense, deux manières diamétralement opposées d’écrire. Entre Julien Gracq et Bukowski, il y a un océan. En France, la littérature est très réfléchie et réflexive. On pense à Proust et à la construction sinueuse, architecturale de son oeuvre. Ici, on cherche à tout dire, tout conceptualiser. À l’inverse, si l’on regarde ce qui se fait aux États-Unis, la densité de l’écriture s’affirme plutôt à travers l’art de peindre la vie de personnages, une façon de les regarder d’abord exister, agir. J’avoue toutefois ne pas lire très régulièrement de littérature française actuelle, j’ai du mal à trouver dans la production du moment ce que je recherche, à savoir des livres qui me font à un moment lever la tête, font jaillir des impressions, des sentiments ou des questions extrêmement diverses. Je déniche néanmoins parfois de vraies trouvailles, comme La Grande Idéede Anton Beraber ou Mourir et puis sauter de son chevalde David Bosc qui m’ont, chacun à leur façon, fortement impressionné ces derniers temps. Peut-être que la littérature américaine contemporaine est moins avant-gardiste, plus ancrée dans une tradition forte du récit et du roman. On s’y sent du coup en terrain familier, d’où une facilité à tomber sur des ouvrages qui, même s’ils ne sont pas toujours de grands livres, procurent un certain plaisir de lecture.

Comment dialoguent vos lectures d’écrivain et celles du professeur de français ?

Élie Treese : Enseignant dans un collège, je cherche si possible à proposer à mes élèves des textes simples de grands auteurs. Par exemple, j’ai fait travailler cette année une classe de troisième sur Comment Wang-Fô fut sauvé, nouvelle que je ne connaissais pas et m’a permis, en tant qu’écrivain, de redécouvrir Marguerite Yourcenar. Dans l’autre sens, j’aime lire chaque année en classe des passages de La recherche du temps perdu. Je fais cela sans explication du texte, juste pour le plaisir de retrouver le cœur de ce j’aime en écriture, mais aussi pour planter des graines de cette littérature dans une jeunesse turbulente.

Élie Treese écrit des textes de toutes sortes, roman, recueils de poèmes ou essais. Il vit et enseigne actuellement à Saintes.

Élie Treese nous a très gentiment ouvert sa bibliothèque : à vous d’y dénicher des envies de lecture !

Bibliographie sélective de Élie Treese :

L’ombre couvre leurs yeux, Rivages

Les Anges à part, Rivages

Ni ce qu’ils espèrent, ni ce qu’ils croient, Allia

 

Pour en savoir plus :

 

entretien avec la librairie Mollat

Régis Lejonc

Régis Lejonc

Pour ce 30 décembre 2018, avant le grand rush des préparatifs du réveillon, voici de quoi prendre une pause café et se détendre en écoutant la voix d’auteur de Régis Lejonc.

Voix d’auteurs est une rubrique animée par Un Autre Monde pour Éclairs, la revue numérique de l’agence Alca, agence du livre et du cinéma de la région Nouvelle Aquitaine.

 

 

 

 

 

 

VOIR LES AUTRES ACTUALITÉS

Bâtard by Cromwell

Bâtard by Cromwell

Mardi 17 Janvier 2017 – 20h30
Théâtre Georges-Leygues de Villeneuve-sur-Lot (47)


Les premières images de Cromwell pour son adaptation de Bâtard, une nouvelle  de Jack London, seront projetées lors d’une lecture de Lucie Braud et Romuald Giulivo, et d’une sculpture de son d’Eric Thomas.


C’est bientôt et nous vous conseillons de réserver !

Affiche ©Cromwell
batard

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